Reflexion

Divagation

« Souviens-toi de vivre » nous disait Goethe.

« "Vivez l'instant" message affiché par la société Coca-Cola dans le métro parisien en l'an 2000. Message détourné de la surmodernité qui incite à la pulsion d'achat dans l'immersion du flux de la communication instantanée » (J-M Mandosio, "Après l'effondrement", Paris, Ed. de l'Encyclopédie des nuisances, 2000), emprisonné dans le rythme effréné du millionième de seconde qui régit nos existences.
Un cadran solaire ne nous propose t-il pas d'inscrire l'envers de ce message, utere præsenti : profite de l'instant présent ? L'immensité de nos instants, revanches que nous prenons sur notre destin est le petit escalier qui mène au sentier de l'autre temps, bien réel, loin du temps de l'avoir, celui du temps de l'être qui transforme la linéarité de la longueur de nos jours, en rondeur, en douceur où l'on s'arrête pour mêler son respir au grand souffle du monde.
Un cadran solaire qui chante les beautés de la nature, moment de bonheur où l'on se rend complice du regard de l'autre, instant qui nous éloigne du superflu, du futil et de la petitesse de nos univers où chacun de nous a oublié de se taire, d'écouter, de regarder, où il est difficile d'embrasser tout son être pour deviner qui il est vraiment, que seul contre son âme, un homme n'est pas grand chose.
Un cadran solaire en héritage qu'il nous faut sans doute chanter et peindre, pour rendre au ciel et à la terre l'image de ses héros qui peuplent nos campagnes, vies mouvantes et débordantes, souffles du monde : fleurs, insectes, oiseaux, mammifères... Dans un acte généreux et gratuit la nature immanente simplement là, afin que nous puissions respirer, vivre et grandir. Se souvenir qu'il est urgent de cesser de détruire ces belles et vitales richesses, à cause de l'aveuglement cupide de nos grises et absurdes routines urbaines qui nous laminent inéluctablement en esclaves modernes où nos sens obstrués de spectacles et d'images dans nos corps empoisonnés, nous conduisent insidieusement et efficacement vers une mortelle aliénation.
Une fresque, lieu de mémoire où sous la lumière solaire se confondent le souvenir et le rêve. Petite fenêtre féerique semée sur le mur de la vie, qui ne pèse pas bien lourd dans notre monde, petite source vivante qui arrose pourtant nos racines perdues.
Un cadran solaire, juste pour ouvrir la page de la redécouverte du beau, du simple, de l'insouciance, de l'inutile, de la joie, de l'éphémère et de l'inconsistance de nos enveloppes, de ressentir la légèreté des battements de nos cœurs, le frisson d'une encore possible liberté, en percevant qu'il y a autour de nous des choses qui nous semblaient ne servir à rien mais qui deviennent plus précieuses que tout le reste.
Un cadran solaire, pour qu'éblouissent au fond des yeux, des étincelles d'amour qui nous relient au sacré qui nous entoure en faisant éclater des renaissances impossibles à imaginer pour redonner toutes les dignités et la joie de vivre à tous les humiliés de la terre.
Un cadran, une fresque, des mots, des couleurs, pour poétiser le monde.

"La marche du temps
Tenez là comme rien
Au sein du permanent
Tout ce qui est vitesse
Ne sera que déjà passé
Car c'est ce qui séjourne
Qui seul nous initie."

(RM Rilke. Elégie du Duino, 22)


Souvenons nous de vivre